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En Famille : La bidouille

24 Septembre 2013

Vous ne savez plus ou pas comment votre famille perçoit votre métier ni l’idée qu’ils s’en font, mais vous avez fini par l’accepter, à l’image du personnage « Chandler » de la série « Friends » face à ses amis, votre famille vit très bien sans savoir ce que vous faites et de toutes façons ils n’ont clairement pas envie de le savoir ou de comprendre : « tant mieux ! » vous vous dites, comme ça tout le monde est content, pas besoin de s’attarder dans des explications qui ressemblent à un dialogue de sourds et pis ce qui est important c’est bien sûr qu’on s’apprécie pour ce qu’on est plutôt que par le métier que nous faisons, heureusement d’ailleurs!

N’empêche que vous demeurerez un personnage obscur, qui pourrait tout aussi bien passer ses journées à faire des rituels en récitant des incantations antiques tout en égorgeant un poulet pour « faire de l’informatique »… C’est peut-être pour ça que personne ne veut savoir (!?)

Malgré tout cela, il y a toujours quelqu’un qui a besoin de vos « services »… Et vous finissez toujours par céder et fatalement tomber sur « le cousin bidouilleur » (remarquez, « l’ami bidouilleur » existe aussi, c’est le même, mais restons en famille, puisqu’en famille on a les ragots en prime…). C’est lui qui est allé « réparer » l’ordinateur de votre grand-mère, qui, en plus de tout le reste, lui a installé le dernier « PC-décapeur » pour « bien nettoyer tout ça », trouvé en « cadeau bonus » dans son dernier magazine pour adultes…

S’il fait appel à vous, c’est d’abord en toute discrétion, pour ne pas perdre sa réputation auprès de la famille (bah, oui, faire appel au « dépanneur incompétent » - cf. En famille I - alors qu’on est soi-même le « dépanneur qui s’y connait » c’est la honte), mais surtout, vu « qu’il s’y connaît en informatique » et qu’il le croit vraiment, il estime qu’il n’a besoin de personne pour maîtriser le bestiau… M’enfin, cette fois, certainement sous la pression du désespoir, il s’est résolu à faire appel à vous, parce qu’il n’arrive plus à s’en sortir : il n’a plus rien à perdre…

Lorsque vous avez un problème avec votre voiture, vous allez chez le mécanicien, vous vous en remettez entièrement à lui quant au diagnostic de la panne que vous avez constaté et vous le laissez faire pour la réparer. L’informatique, quant à elle c’est un de ces rares métiers qui fait automatiquement et implicitement de toute personne possédant un ordinateur un informaticien ! Bizarre quand même, pourtant avoir une voiture cela ne fait pas de vous un mécanicien, vous n’y pensez même pas ! Pourquoi l’informatique ce serait différent ?!

Revenons donc à notre « cousin bidouilleur », quant à lui, à l’entendre parler, c’est le père de l’informatique, elle n’a aucun secret pour lui. D’ailleurs il est capable de vous sortir un charabia que seul lui peut comprendre :

- Oui, mais j’ai couplé l’économiseur d’écran avec l’adresse IP pour que la pile de la carte mère ne se décharge pas, parce qu’elle est un peu dessoudée à cause du BIOS…

Le plus navrant c’est qu’il y croit, mais n’essayez pas de comprendre comment il a pu croire que cela était possible, comment il a pu faire tous ces liens dans sa tête, vous ne vous en sortiriez pas sans séquelles… et dire qu’après, c’est nous qui sommes traités de « psychopathes névrosés »…

C’est bien connu, sortir 2-3 mots techniques à un néophyte qui est déjà face à un désarroi informatique le fait entrer automatiquement dans un « mode bête »* où il acquiesce et fait tout ce que vous lui demandez, informatiquement parlant ; une sorte d’effet « laisser faire le professionnel », un peu comme chez le mécanicien... C’est par ailleurs certainement ainsi que le « cousin bidouilleur » a réussi à se faire une réputation auprès du reste de la famille : alors que nous informaticiens, nous faisons un effort pour « vulgariser » en expliquant le plus possible avec des « mots de tous les jours » les problèmes que la personne en face de vous rencontre, lui, il ne se gêne pas pour débiter des insanités. Le résultat est incroyablement injuste pour nous, car c’est lui qui se retrouve couvert d’éloges tels que « il s’y connaît drôlement lui », « il en sait des choses », pour finir avec les classiques « heureusement qu’il est là », etc…

Mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est vous expliquer votre métier :

- Tu fais du développement logiciel ? Moi aussi j’en ai fait un peu au boulot – ben voyons ! le contraire aurait été étonnant ! et il poursuit - tu devrais faire un programme qui nous permette de nous téléporter en Chine ou sur la lune, maintenant avec les avancées technologiques des cartes mères dont nous disposons de nos jours, tu devrais pouvoir « inventer » ça facilement non ?

Et ne vous avisez surtout pas de répondre ou d’essayer d’expliquer quoi que ce soit, vous vous embarquerez dans un débat métaphysique théologique dont seul lui aura toutes les références « scientifiquement prouvées que le gouvernement et les grands industriels nous cachent » et dont il vous sera impossible de vous en sortir… Il faut le laisser dans son délire, il est déjà très heureux comme ça…

M’enfin, vous vous faites violence et vous faites votre tentative de l’aider, vous commencez par mettre des gants, on ne sait jamais, dans un fouillis pareil on peut vite se chopper des maladies. Parce que oui, c’est le même gars qui a « réparé » l’ordinateur de votre grand-mère, donc ce que vous avez vu chez elle n’était qu’un avant-goût de ce que peut être l’enfer pour un ordinateur : icônes partout sur le bureau, tous les explorateurs possibles et imaginables installés (si si, même Netscape !), une version de Windows « LSD » (piratée) sortie d’on ne sait où et il vaut mieux ne pas savoir, 3 anti-virus (pour être sûr, on ne sait jamais…), 4 versions différentes d’office plus OpenOffice, tous les « média players » (lecteurs multi-média, pour les musiques, cds, vidéos, etc…) qu’on peut trouver sur internet, etc… En gros, ce serait un ordinateur à envoyer immédiatement sous scellé aux scientifiques pour qu’ils étudient comment il a pu fonctionner comme ça… Pauvre bête…

Vous arrivez donc, nécessairement et fatalement à la conclusion ultime et drastique. Comme vous avez en face de vous « quelqu’un qui s’y connaît », contrairement à votre grand-mère, cette fois vous vous risquez à annoncer la nouvelle :

- C’est un peu trop le bordel là, je pense qu’il vaudrait mieux reformater.

Oulà ! Que n’a-t-on pas dit là ! Un nouveau mot ! Chiche ! Un nouveau truc à placer chez tante Cunégonde lorsqu’elle lui demandera un coup de main avec son ordi ! La claaaase ! Et ça fait « pro » en plus ! Mais au fait, ça veut dire quoi ? Il s’en fout ! Son principal souci maintenant c’est, à part retenir sa joie, de bien vous faire comprendre qu’il vous a parfaitement compris, de professionnel à professionnel bien entendu :

- Ah oui, j’ai déjà essayé ça, plusieurs fois même, mais ça n’a pas marché…

C’est votre cousin, vous avez grandi avec lui, vous avez mouillé le vieux chat de tante Cunégonde ensemble quand vous aviez 9 ans et vous êtes faits prendre par tonton Norbert lorsque vous essayiez de goûter à ses bouteilles d’alcool… Vous n’avez pas le droit ni même le cœur à crier, le secouer ni lui faire la moindre petite remarque désobligeante. Vous inspirez pour rassembler toute votre patience :

- Ah bon ? Écoute, je ne sais pas comment t’as fait, mais pour moi formater ça veut dire tout effacer et remettre l’ordinateur comme au premier jour, sans aucun logiciel installé, sans tes photos, documents, etc… Comme lorsque tu l’as déballé. T’as fait des sauvegardes de tes documents ?

A partir de ce moment, je ne sais pas si c’est parce qu’il se sent gêné d’avoir montré qu’il n’avait pas compris, ou qu’il pense qu’il finira finalement quand même par y arriver seul, ou que vous êtes en train de lui faire le même « coup » qu’il fait au reste du monde, ou si simplement parce qu’il réalise qu’en fait il aurait préféré que vous récitiez des incantations avec un poulet égorgé en main, mais le résultat est le même :
Peu importe que la voiture dans laquelle il roule fonctionne grâce à vous, qu’il puisse partager les photos de ses exploits avec ses amis sur internet grâce à vous, que le médecin qui lui a fait sa dernière opération l’ait réussie en partie grâce à vous, qu’il puisse acheter en ligne ses magazines pour adultes grâce à vous, qu’il puisse jouer à son jeu préféré sur sa tablette, son ordinateur ou sa console grâce à vous, ou en somme, aussi louable et fonctionnelle pour le bien de l’humanité votre contribution informatique soit-elle, le coup de poutre dans la poire ne tarde pas à venir :

- Ah d'accord ! Mais ne te prends pas la tête, laisse tomber, je vais me débrouiller, et pis je vais demander à Manolo, mon copain maçon**, il s’y connait bien…

Quelques semaines après vous finissez par apprendre fatalement bien trop tard que son copain Manolo lui a tout formaté et que grâce à lui, il a perdu toutes ses photos de famille, documents importants, vidéos, musique, films X, … qu’il avait sur son ordinateur. Ça vous rend triste pour lui, qui paradoxalement ne l’est pas, parce que « son ordinateur en avait bien besoin », foi de Manolo « qui s’y connaît »…

En conclusion et malgré tout cela, vous ne vous y connaissez donc pas assez bien et votre rang de « dépanneur incompétent » au sein de la famille se scelle et confirme ainsi définitivement, foi de « quelqu’un qui s’y connaît » !

L’informatique : on ne sait pas ce que c’est mais n’importe qui sait bien le faire.



Références :
* « mode bête » : Appellé "Dummy mode" par le très célèbre "Bastard Operator From Hell" (BOFH), que je vous invite à découvrir ici (articles en anglais).
** maçon : Je n'ai rien contre les maçons en particulier, métier riche par un savoir faire exceptionnel dont nous en dépendons tous aussi, c'est juste qu'à la base l'informatique est plutôt assez loin d'être leur métier...
Diego
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